La vieille photographie (Oncle Dan)
Ma grand-mère n’a pas toujours été une grand-mère. La preuve que j’attendais glissa d’un vieux portefeuille, un jour que je mettais de l’ordre au grenier. Lorsque la vieille photographie tomba, je n’ai d’abord rien remarqué et j’ai poursuivi l’inventaire du sac à main. Ce n’est que lorsque je posai dessus, par le plus grand des hasards, ma puissante loupe de philatéliste, que mon attention fut attirée par un imperceptible détail. J’approchai mon œil, mit l’objet à bonne distance afin d’obtenir la plus grande netteté possible. Un frisson me parcourut l’échine. Etait-ce possible ? Ce que je voyais m’avait toujours paru invraisemblable. Je n’aurais jamais imaginé une chose pareille, surtout de grand-mère. De là à avoir des pratiques douteuses ou illicites, il n’y avait qu’un pas ! Le contour était incertain, à peine marqué, mais semblait bien présent. Et puis là, sur l’épaule, rien. En revanche, là, il semblait bien que… Ca alors ! Je n’en revenais pas. Je devais en avoir le cœur net. Cette photo était un aveu. Elle levait le voile sur un secret que l’humanité entière aurait jugé inviolable. C’est que n’importe quel individu, fut-il maladroit, vous aurait confectionné une femme plus aimable que grand-mère avec une bouteille de vinaigre et une pelote d’épingles. Personne ne l’avait jamais vu jouer avec un enfant, même pubère. Aussi, le doute n’était-il pas permis, il s’imposait. Au demeurant, mon intégrité morale m’interdisait de condamner sans certitudes. Le matériel photographique de l’époque ne possédait pas tous les perfectionnements actuels. La photo était très ancienne, un peu jaunie et avait subi les outrages du temps. On discernait même, par endroits, quelques auréoles. Je décidai, par conséquent, de porter la photographie au laboratoire afin de l’examiner plus attentivement et de supprimer toute ambiguïté. Le verdict du microscope fut sans appel. On distinguait même l’ombre de l’aréole sous la soie. Grand-mère ne portait pas de soutien-gorge.