L’éternité du temps (Brie)
Comme tous les matins, il avait rempli l’entonnoir bien calé sur son gros bocal.
C’est ce qui m’avait amusé, la première fois que j’avais mis le pied dans cette ferme. Je m’en souviens encore comme si c’était hier. Avec mes parents, nous étions partis en randonnée et nous étions perdus dans cette vaste forêt qui n’en finissait pas. La faim, la soif surtout nous tenaillaient. Nous avions aperçu cette ferme, et étions simplement entré pour demander de l’eau. Il était là, devant la grande table en chêne qui m’avait parue immense à l’époque, comparant dans ma tête la petite table en formica de chez nous.
Il était seul et après la surprise de nous voir débarquer chez lui, avait déposé un verre devant chacun de nous puis était parti chercher de l’eau on ne sait où...laquelle eau avait parue bien suspecte aux yeux des parents, lorsque j’avais vu leur regard angoissé.
Puis il avait rempli l'entonnoir en marmonnant quelquechose que je n’avais pas compris.
Mais qu’importe si le geste m’avait paru incongru, je n’avais d’yeux que pour lui.
Mon coeur s’était mis à battre la chamade et j’en avais oublié la soif qui me tordait le ventre. Comme il était grand ! Comme il était beau !
J’aimais déjà son regard, son beau sourire, son air doux, ses longs cheveux en bataille.
Je m’étais dit à cet instant que, même sans rien connaître de lui, j’avais envie de partager sa vie si simple, en contraste flagrant avec la superactivité de la ville où nous vivions..
Le coup de foudre existait donc bien dans la vie réelle.
J’étais retournée à la ferme, seule, le lendemain. Sûre d’avoir lu dans ses yeux sombres la même attirance, surprise de ma témérité, moi de caractère si réservé. Ne dit-on pas que l’amour donne des ailes.. ?. Il m’avait aperçue de loin et sans un mot, ses bras s’étaient ouverts pour me recevoir.
Sans mots, nos coeurs s’étaient trouvés !
60 ans déjà ! et tous les matins de notre vie, inlassablement, il a rempli de la même contenance le vieil entonnoir bien calé sur son gros bocal . Comme une preuve de ce temps éternel qui ne nous séparera jamais.
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