Depuis le temps (Manstrop)
Depuis le temps qu'il me tourne dans la tête, celui-là ...
Il était une fois ... un jeune homme.
Il menait une double-vie. Le jour, étudiant sérieux, assidû avec l'archéologie dans le coeur. Mais le soir, lorsque la nuit tombait, il se métamorphosait en homme des rues. Attendant que quelqu'un vienne le chercher, attendant l'amour sur l'asphalte, attendant de trouver un sens à son existence qui lui paraissait terriblement morne, sans saveur. Un soir qu'il s'était adossé à un mur, la silhouette éclairée par la lumière aveuglante du réverbère, son coeur se gonfla de tristesse. Il se sentait en trop, appelant la mort comme une douce chaleur qui tairait à jamais les regrets, les amertumes, l'ironie de son passé. Oh, il n'avait jusque là pas eu une vie extraordinaire, bien au contraire. Il avait simplement ... attendu. Comme il attendait cette nuit-là. Il attendait que quelqu'un veuille bien de lui, quelqu'un qui le prenne dans ses bras pour lui chuchoter " tout ira mieux, tu verras, crois-moi ..." Et les larmes coulaient sur ses joues, car cette attente n'en finissait pas.
Le temps avait passé. L'été était là, bienfaisant. Un jour qu'il fumait posément une cigarette, assis sur un banc, il regarda la fumée s'élever vers le ciel. Il avait découvert ces nouveaux journaux en ligne où l'on pouvait se relater, se mettre en scène. Il se décida à en créer un, mais quel pseudonyme choisir ? Il voulait révéler son être tout en modifiant les apparences de son identité, vomir ses meurtrissures pour renaître de ses cendres. Il voulait s'élever telle la fumée, libre de son mouvement. Il se remémora celui d'un célèbre auteur : Georges Sand. Une femme qui choisit le nom d'un homme pour être libre d'écrire. Lui même ne se sentait pas libre d'exister tel quel, alors il prit une profonde inspiration pour tenter de saisir son sentiment le plus profond, le plus vrai, le plus douloureux aussi : le sentiment d'etre en trop, de n'avoir sa place nulle part, d'être exclu. Alors, un mot lui vint en tête, retentissant : Manstrop. Pourquoi celui-ci et pas un autre ? Un homme à l'écart d'autrui, à l'écart de lui-même. Or, cette exclusion était sa force. Son coeur lui dictait de dépasser les apparences. Un homme en trop, tel était le sens de son existence où paradoxes, forces et faiblesses se mêlaient comme une ombre se mêle au bitume pour ne rendre compte, finalement, que d'un seul reflet : lui-même.
Au loin, l'on entendit deux cris ; deux cris du coeur... C'est ainsi qu'un jour, Manstrop murmura, très bas : "aimez-moi ! mais laissez-moi tranquille" ...
Oui, depuis le temps qu'il me tournait dans la tête, il fallait bien que je lui donne vie.