Ils vieilliraient ensemble (Guern' de Bé)
"Personne ne m’aime"…c’était un leitmotiv dans sa tête depuis si longtemps. Depuis toujours.
" Il faut avouer que je n’aime personne non plus. Et pourquoi j’aimerais quelqu’un ?".
Du plus loin qu’elle s’en souvienne ses congénères l’avaient repoussée, conspuée, dénigrée, moquée, insultée, détestée, haïe.
Il faut dire qu’elle n’avait guère été gâtée par la nature. Comme disait sa propre mère " ta sœur t’a tout pris "…En effet, elle avait les dents qui avaient poussé de travers, le cheveu gras et filasse, un œil qui disait merde à l’autre, une silhouette qui tenait plus à un tonneau qu’à Marilyn Monroe…Bref, les canons de la beauté l’avaient oubliée…
Tout ce qu’elle avait subi dans son enfance…elle aimait mieux l’oublier. Ces condisciples (" plus cons que disciples " ricanait-elle dans son for intérieur) l’avaient tellement martyrisée qu’elle en gardait une incommensurable haine pour tout le genre humain.
Et personne ne lui avait jamais fait changer d’avis…
Elle était donc restée plus que vieille fille.
A plus de 70 ans, elle était encore vierge. Jamais aucun garçon, aucun homme ne l’avait embrassée, pris dans ses bras, baisée.
Le vieil homme chauve qui était en face d’elle, attablé devant le sablier du temps qui passe n’était que le symptôme du delirium tremens qui la submergeait…Certains voyaient des cafards et des insectes grouillants…elle ne voyait que des hommes peu ragoûtants…
Elle s’était réfugiée dans l’alcool.
Ils vieilliraient ensemble… et certainement il la tuerait.