Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Au clair de la plume
Au clair de la plume
  • Un petit blog sans prétention pour les amoureux de l’écriture. Nous proposons cet espace à la publication de vos textes et n’avons ici aucune autre prétention que celle de partager le plaisir d’écrire.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Newsletter
18 mars 2009

INGE et ANGE (Joëlle)

Il était jeune, il avait toujours vu ça; sa famille se haïr, se trahir, se voler , s'étriper, et tout à coup se raccommoder dans des alliances fluctuantes. Il n'avait jamais compris et il ne comprendrait jamais. Il ne serait pas comme eux, esclave d'un seul maître: l'argent. Lorsque le Conseil de famille s'était réuni, le jour de ses 25ans, il avait dit Non, lui si discret, si studieux, doué mais timoré eut-on dit, il avait dit Non. Il venait d'obtenir un doctorat couronnant de brillantes études à l' IHR. Sa collaboration, après la présentation de son projet de robot, était convoitée par les concurrents de son grand père; Ange avait refusé l'offre de celui-ci, il ne serait pas PDG de l'entreprise de Victor Sabatini, PANOPVISION, la deuxième entreprise européeenne dans le domaine de la surveillance. Il serait enseignant; ça lui convenait parfaitement, il ne voulait pas être le prolétaire, le sujet, le responsable , l'esclave, tout cela à la fois, d'une entreprise qui avait passé un marché avec trois grands états européens : un projet grandiose de concrétisation de la société panoptique. Ce que Bentham avait imaginé à la fin du XVIII eme siècle et vaguement projeté, Ange avait les capacités, et les moyens financiers d'en élaborer la structure et d'en articuler les réseaux. Il haïssait ceux qui rêvaient d'une telle société, ceux qui s'enrichissaient en la pérennisant.

Ange aimait, il aimait l'humanité, il aimait les animaux, il aimait la vie, il ne voulait rien faire qui pût être contraire à cet élan. Cet élan était immense depuis qu'il avait rencontré Inge. Ange aimait Inge; Inge robe rouge, Inge lèvres rouges, Inge cheveux noirs, Inges yeux noirs. Inge était une combattante, elle aimait l'humanité et savait que cet amour n'avait aucun sens si elle ne dédiait pas sa vie à la lutte contre ceux qui affamaient, assassinaient. Inge la rouge, Inge la noire. Il avait fallu cette rencontre pour qu'il sache qui il était; il était celui qui aimait Inge!

Et puis, un jour , en cette époque de lutte sauvage, terrible, elle se trouva, Inge, là où il ne fallait pas , à cette seconde précise où ceux qui l'accompagnaient virent le point noir, si petit, mais pas le rouge qui se répandait sur sa robe rouge.

Inge la rouge, Inge la noire était morte au combat, un jour de Mai 2010.

La vie se referma sur Ange, comme un rideau. Il n'y eut plus que ce petit espace qui lui permettait de respirer et continuer à penser à elle, continuer à l'aimer; il dépérissait, et puis un matin il eut un sursaut. Il chercha un atelier, et se mit au travail, c'est cet amour qui donna le souffle nécessaire au réveil de son génie. Au bout de quelques mois il avait réalisé la machine qui allait faire revivre Inge; une machine qui ressemblait à l'invention de Morel. Il avait trouvé l'écran fait d'une matière toute nouvelle; souple, transparent , invisible. Il avait perfectionné la machinerie incluse dans l'appareil de projection. Il composa le décor fait d'une toile rouge et noire, et matérialisa dans la même matière que l'écran l'image d'Inge venant de la dernière photo qu'il prît d'elle.

Et commencèrent ce qu'il appela « les veillées », tous les jours à la même heure un témoin extérieur eût pu voir dans un plan fixe, une Inge qui paraissait vivante. Bien qu'immobile , elle paraissait animée des mouvements de la vie, elle rouge et noire, au bord de la toile rouge et noire, et lui avait réussi à s'introduire dans ce plan fixe où il demeurait, immobile. Quelques minutes par jour, il était là, avec elle; là, ou plutôt dans la représentation rêvée, concrétisée de lui avec Inge. Il vivait avec Inge.

Tandis que le souffle de vie artificielle empêchait Inge de vieillir,  Ange jamais rassasié de la vue d'Inge si jeune, si belle, sentait peu à peu ses forces le quitter, son corps le trahir, il vieillissait.

Il ne vivait plus désormais que pour cet instant de pure sérénité, au goût d'éternité troublé , non plutôt bercé, par le bruit du projecteur qui ronronnait comme les projecteurs de cinéma de jadis.

Alors qu'il fabriquait la machine il avait réalisé une clepsydre, sommaire, avec ce qu'il avait sous la main, il voulait qu'un instrument prosaïque fût le dernier à décider de la seconde supême, celle de l'éternité dont il avait tant de fois répété la sensation.

Il savait que le jour où il introduirait cet instrument dans le dispositif, il égrènerait ses dernières secondes avec les dernières secondes de la dernière veillée.

Le sable commençait à couler, cela durerait cinq minutes, le temps réel de chaque veillée. En cinq minutes, il revécut la journée d'été qu'ils passèrent ensemble, quarante ans plus tôt , au cours de laquelle ils s'étaient juré qu'ils vieilliraient ensemble.

Publicité
Publicité
Commentaires
A
surtout que Clo est ma Chouchou rouspéteuse ;-)
B
..et oui, on aime bien nous les rouspéteuses..ça met du piment dans la vie (enfin, bien sûr y'a des limites..) - mais n'est-ce pas par là que commence la tolérance.......
A
(.........même les rouspéteuses ;-)))
A
nous sommes très à l'écoute de nos participant(e)s et tout ce que nous souhaitons c'est qu'ils et elles soient satisfait(e)s !<br /> :-)
B
Quelle imagination ! admirative que je suis devant ces écritures ....
Publicité
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 8 766
Archives
Publicité