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Au clair de la plume
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18 avril 2009

Le sculpteur (Brie)

Il était une fois, il y a bien longtemps, vivait un vieil homme qu’on appelait David aux mains d’or. Il portait pour tout vêtement, une tunique rouge trouée de toutes parts,  seul héritage de son père et de non moins vieilles chausses qui n’avaient pratiquement plus de semelle mais dans lesquelles il se sentait si bien qu’il avait l’impression de marcher toujours sur des nuages. On le voyait déambuler dans les rues de la cité, la marche titubante et les yeux hagards. Il portait une longue  barbe hirsute et grisonnante, un ventre proéminent dû à sa consommation pléthorique de pintes  - fait qui étonnait toujours ses congénères – qui eux mêmes en ingurgitaient  une quantité sans nombre. Ses journées étaient marquées désormais par de longues beuveries, durant lesquelles, quelquefois, ils regardaient ses mains – qui autrefois avaient fait de si belles œuvres et qui, maintenant, lui apparaissaient comme des poids morts, des pierres qui n’avaient même pas l’aisance d’enlier briques après briques, de créer un mur – entrecoupées de lourds sommes comateux Il baignait depuis déjà trop longtemps dans la page blanche du sculpteur.

Un jour, au petit matin, alors qu’il rentrait brinde-zingue d’une joyeuse énième nuit de  bacchanales , au croisement d’une  rue il butta sur une veille femme. La mendiante avait la tête baissée et semblait somnoler. Elle était emmitouflée dans une grande cape blanche qui jurait avait la noirceur de sa peau.

Près d’elle un enfant en haillons s’amusait  avec des cailloux. A la vue de l’homme, l’enfant lâcha ses jouets improvisés pour attraper la sébile vide et la tendre d’un bras maigrichon. La femme sans doute réveillée par le bruit, leva la tête et planta son regard limpide dans celui de David, qui en fut comme transpercé. Elle était d’une étrange beauté. Son visage était parcouru de rides qui couraient et se chevauchaient dans tous les sens mais on les y sentait si tranquilles comme porteuses d’une sève de sagesse.  Elle avait les yeux multicolores,  des pointes du vert couleur huître de la mer par temps calme, du bleu céruléen du ciel un jour d’été, l’éclatant violet de la mauve sauvage, un océan de lumière dans lequel il décela tout l’amour du monde.

Il ressentit d’un coup, dans tous ses sens, comme une douleur térébrante, un sentiment qui l’avait abandonné depuis bien longtemps, cette certitude qu’il venait de ressentir, à nouveau, ce violent désir, cette  merveilleuse envie de créer. Il sut à cet instant qu’il revenait à lui-même, que l’extraordinaire aventure d’exister venait à nouveau de l’habiter tout entier, dans une plénitude bienfaisante. Tous ces doutes, toute sa vulnérabilité s’envolèrent d’un coup. Les jours et les mois qui avaient précédé cette minute divine lui semblèrent faire partie d’une autre vie.

Il s’agenouilla devant eux, posa une pièce d’or dans la sébile – la seule qu’il possédait encore -  et leur proposa, d’une voix aussi douce que possible pour ne pas les effaroucher, une paillasse dans un coin de son logis qui lui servait aussi d’atelier.

Il ne lui fallut pas plus d’une journée pour re-basculer de l’autre côté, celui de la créativité. Sitôt contaminé, il eut de plus en plus de mal à se passer d’elle. Le jour, il ne se lassait d’admirer sa beauté, d’effleurer son corps charnu afin de s’en imprégner totalement, intimement - afin que ce corps et ses mains ne soient plus qu’un, dans une osmose totale. La nuit, ses mains, empreintes des courbes tant caressées,  sculptaient avec une aisance exponentielle.

Et puis un beau matin, dans le courant du 3ème mois de l’An 1748, la statue fut finie.  Elle trônait au milieu du minuscule atelier et remplissait tout l’espace. David décida d’en faire cadeau au Roi qui la fit porter  dans le parc de la ville, pour un hommage au grand sculpteur oublié mais qui avait eu son heure de gloire.

David s’en réjouit car ainsi tout un chacun pourrait caresser la matière chaude de la pierre et s’imprégner d’une partie de l’amour qui l’avait porté à cette création.

Quelques jours plus tard, le 1er avril,  alors qu’ils traversaient le parc, pour aller faire joyeusement ripailles en l’honneur de cette fête, l’enfant qui trottinaient derrière eux, humecta subrepticement un poisson qu’il avait découpé en cachette et le colla sur le fessier rebondi. Le papier était rose mais tant pis, il n’avait trouvé que celui là et lui aussi voulait, à sa façon, participer à la fête.

David aux mains d’argent souriait, empli de gratitude devant cette femme qui avait sût éclairer son esprit-cœur, devant l’innocence naturelle de cet enfant devenu sien, devant la statue immortalisée.

Il savait qu’elle serait son ultime œuvre, la consécration de sa vie et se dit intérieurement qu’il y a des moments dans la vie où il faut savoir s’éclipser.


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Commentaires
J
Un conte, qui parle de la mort dans la vie, quand l'élan vital n'est plus, et qui offre, quel don! à ce vieux sculpteur, la réapparition miraculeuse du désir grâce à une rencontre merveilleuse. Quelqu'un qui sombrait réapparait à la lumière et aime, et en créant est à nouveau capable de donner. En parlant de lumière, il nous la fait partager. Les belles histoires, mettent dans nos vies aussi un peu du merveilleux, maigre ces temps ci;(Ou bien est- ce une impression?)<br /> Il me rappelle un vers d'un beau poeme de Hélène Cixous:<br /> IL FAUT mettre DE LA LUMIERE D'AME DANS CHAQUE REGARD;<br /> En fait Brie nous raconte le miracle du regard. Cette lumière est présente dans la délicatesse avec laquelle cette histoire est contée.<br /> Merci pour cette étincelle.
G
Quelle histoire !!!
A
eh bien là aussi nous avons un enfant comme protagoniste de l'histoire :-)<br /> Les participants auraient ils établi une consigne tacite ? ;-)<br /> C'est un très beau texte qui prouve que même lorsqu'on a l'impression que "tout est fini", en réalité tout reste toujours possible !
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