" Il ouvrit le grand livre..." (Helma)
"Le grand livre de sa vie à elle. Qui au fond n'était qu'un petit journal, du type Moleskine. Gribouillé avec vigueur, ce n'était pas le premier à faire les frais de sa propriétaire. Comprenez qu'à 16 ans, on en a des choses à raconter, des choses à détester. Ah ça détester, elle savait le faire la jeune Aliénore.
Elle détestait sa famille, son lycée, sa vie en général. Qui ne le ressentait pas à son âge ? Ah 16 ans, l'âge ingrat. On est supposé vivre ces plus belles années. Tu parles. L'acné, les hormones, l'apprentissage de la vie sociale. Quelle plaie.
Aliénore détestait tout cela et bien qu'elle fut épargné par la première plaie, elle ne pouvait s'empêcher de griffonner. Dans son lit, sur sa chaise, au lieu de faire ses devoirs. Mais pourtant, jamais elle ne l'avait sorti. Trop peur qu'une mauvaise main tombe dessus. Elle l'avait déjà changé 4 fois de place, ainsi que ces grands frères, de peur que sa matriarche ne s'en approche.
Et puis, elle ne voulait pas qu'Elle sache ces choses si personnelles qui faisaient sa vie. Le garçon sur qui elle avait des vues, celui avec qui elle sortait. Toutes ces choses qu'une maman ne doit ni savoir, ni même deviner. Car après tout, Aliénore ne voulait pas que sa génitrice interfère dans sa vie de jeune adulte. Des conneries ? Elle en a faite du haut de ses 16 ans et en fera encore beaucoup. Son « grand livre » de sa vie en est plein. Des conneries pour elle, des absurdités pour d'autres.
Le seul jour où Aliénore décida d'emporter avec elle un petit bout de son âme, fut le jour où ce « grand livre » tomba dans mes mains. Et même si je ne fais qu'apprendre à la connaître à travers ces pages pleines d'encre, j'ai déjà le sentiment de la connaître depuis déjà longtemps.
Demain, je la croiserai, je la bousculerai, elle me jetera un regard noir, un de ses regards qui me montrent qu'au fond elle est aussi paumée que moi, et je lui remettrai dans son sac, sans qu'elle s'en aperçoive, son précieux livre, en ayant pris le soin d'y aposer mes initiales.
Le remarquera-t-elle ? Me remarquera-t-elle ?"