La fête de Vénus (Joëlle)
« Tous les pays qui n'ont plus de légendes seront
destinés à mourir de froid. »
Patrice de la Tour du Pin
C 'est Avril !! Jouissons et réjouissons nous.
Elle est morte il y a quelques semaines à l'âge de 90 ans, c'était une femme extraordinaire. Et avec quel panache elle nous quitta; « Il y a des moments dans la vie où il faut savoir s'éclipser avec dignité », voilà ses dernières paroles, puis elle cligna de l'oeil, avec un effort visible car elle était devenue si frêle, elle sourit, ferma les yeux et s'en alla. Le moindre hommage que je pouvais lui rendre, c'était de coller au creux de ses reins, ce petit poisson avec un bout de ficelle, sur laquelle je mis un peu de colle au dernier moment . Pourquoi ce lien, plutôt qu'un bout de papier collant? Je désirais que ce lien infime, ténu en apparence, soit le premier de tous les autres dont je tiens à vous parler, à vous mes cher(e)s ami(e)s avec qui j'ai vécu toute la gamme du pur délice de vivre, grâce aux fêtes que nous avons célébrées ensemble, durant toutes ces décennies. J'agissais ainsi , mon petit poisson de papier à la main, avec minutie, tout concentré sur mon acte, pour ne pas altérer par un détail vulgaire ( du Scotch!!!Allons donc!) l'exaltation qui devait s'emparer de moi, je n'en doutais point, au moment de m'accrocher au fil de cette célébration. Après quoi, je pris ce cliché.
Pourquoi ce lien? Pourquoi cette sculpture? Pourquoi ce petit poisson, Archétype tout le monde l'aura perçu ainsi, je suppose, du populaire poisson d' Avril?
Vous imaginez certainement, mes cher(e)s ami(e)s, avec quelle frénésie, je m 'acquittais de cette tâche, que dis-je? Je m'honorais d'accomplir ce geste aussi solennel qu'un antique rituel, ce matin même, en ce premier jour d'Avril, au cours de ma promenade quotidienne, la dernière, dans le Jardin des Tuileries. Par cet acte tout petit, tout humble, je reliais comme nous l'avons fait tant de fois, tout ce qui traversant les apparences, bousculant les cadres imposés, nous rend libres de dire Merci à la Vie. Ce cercle d'harmonie, nous avons placé en son centre l'amour, l'art et ce qui fait la grandeur de l'homme depuis sa naissance, à travers ses mythes et ses légendes, ce qui, contre le mensonge , contre les violeurs d'innocence et de beauté, rend grâce à notre Existence. Le moment le plus approprié pour rendre sacrée cette cérémonie païenne, c'est le premier Avril sous les auspices de Vénus.
Elle est morte à l'âge de 90 ans, la belle, la radieuse, la grâcieuse, celle qui continue à nous enchanter, celle que nous adorons, et qui présida à toutes nos fêtes Depuis si longtemps elle est pour nous l'image de la Fête de l'amour, nous continuerons de la célébrer. Elle vit dans les vibrations de notre sang quand il circule en bouillonnant. Vénus, Aphrodite, c'est avec une émotion joyeuse que je me souviens du moment où nous l'avons choisie, elle, la plus belle, celle qui représentait le mieux notre déesse, Dina. Ah Dina! quelle force mystérieuse ne possédait-elle pas pour offrir au Vieil Aristide le souffle créateur qui allait lui faire réaliser ses plus belles sculptures. Aristide Maillol; l'homme à l'âme d'or avait dit un jour Gauguin; Il avait 74 ans quand il rencontra Dina qui en avait quinze, elle fut son modèle jusqu'à ce jour, dix ans plus tard, où il partit rejoindre dans leur ciel, les déesses, les grâces, qu'elle lui inspira. Dina, nous l'avons choisie pour vénérer notre déesse avec ferveur, Dina la fille d'immigrés juifs russes, modèle de Maillol mais aussi de Matisse, Bonnard, modèle, puis galiériste avisée, amoureuse éclairée de la beauté. Dina à la robe rouge; Vous vous souvenez quand Maillol a appris ce qu'elle faisait à sa barbe? Cette drôlesse aidait les républicains espagnols et les résistants à passer les Pyrennées et le signe de ralliement, c'était cette robe rouge. Elle faisait partie du comité Fry, et le chemin de contrebandiers prit pour l'éternité le nom de « passage Maillol ». Et puis ce fut grâce à lui qu'elle échappa à la déportation. Nous conservons tous une photo de cette huile où il l'a représentée vêtue de cette fameuse robe, avec ces fameuses tresses faisant une auréole autour de sa tête .(<==CLIQUEZ)
Ayons une pensée pour elle aujourd'hui, pour cette Venus, Dina qui n'aura pas connu ce premier Avril 2009. S'il paraît irrévérencieux, mon geste d'accrocher un si petit poisson, il est en réalité empli de ferveur; Il nous rappelle combien de fois nous l'avons imaginée dans nos fêtes, en portant nos toasts à l'amour, cette image antique d'une Aphrodite reliée à Eros par un lien attachant leur queue de poisson; car c'est ainsi que les grecs se les représentaient. Ils ne devaient pas se séparer pour mieux fuir le monstre Typhon qui les poursuivait. Les babyloniens qui l'appelaient Ishtar furent les premiers à figurer la constellation par deux poissons poussant un oeuf. Le premier Avril est le milieu de la constellation des Poissons du zodiaque; Ce sentiment de plénitude, il ne nous a jamais abandonné une seule fois tous ces mois d'Avril où nous l'avons fêtée avec tant de ferveur , Avril, Apriles, le mois de Vénus. Nous devons tant à Avril, nous devons tant à Venus, nous devons tant à l'amour, qu'il ne fait aucun doute que notre dernière pensée ira à celle qui nous a fait désirer, vivre, aimer, qui nous a rendus beaux, nous les vieux artistes, contus, ridés à présent, mais submergés par ce sentiment cosmique que nous avons réussi à vivre à l'unisson, mes ami(e)s. Tout aussi petits poètes, peintres, musiciens, que nous soyions, nous qui n'avons jamais dépassé le succès d'estime, notre joie d'être des Passagers de l'Existence ne nous a jamais désertés, car elle Vénus/Dina a toujours été à nos côtés. Lorsque l'unde nous s'en va, nous combinons toujours les moments de recueillement avec des moments de joie pure pour le ou la remercier de nous avoir accompagnés dans nos créations et nos libations à la gloire de la déesse. Le grand Ovide, nous invitait régulièrement « Voici le quatrième mois où l'on t'honore plus particulièrement Vénus ». Nous sommes fiers d'avoir su raviver en cet Avril le souvenir des carnavals d'autrefois, la truculence de ces fêtes, joyeuses, sans rien de semblable à ces petites festouilles aussi grandiloquentes et prétentieuses soient -elles, avec des grands discours sur fond de paillettes et cotillons, à pleurer de tristesse, avec ces musiques à nous faire envier les sourds. Et ces petites plaisanteries prétenduement facétieuses, de poisson d' Avril tristounet, ressemblant à une aumone laissée aux pauvres; Nous avons festoyé avec la grandeur des humbles pour mieux ridiculiser les fêtes du mensonge et de l'arrogance que s'accordent les grands et les puissants, ces misérables. Comme nous aurions aimé les entraîner, que dis je les entrainer, les convertir à la religion de la joie tous les coincés et les « bande triste » et autres « couillons de la lune » qui passent à côté de la vie. Heureusement, nos enfants, nos amis, nos petits enfants nous ont suivi, ils n'ont pas eu besoin de leçons, de maître, ils ont seulement humé le même air que celui que nous respirions. Les autres, quand, par souci d'éducation, non! d'échange, nous leur montrions la lune avec le doigt, ils regardaient le doigt, et passaient des heures à le commenter; « Oh vous ne mettez pas de vernis? Ah mais vous avez une tache brune, là. Diantre vous sortez dégantés? »; Quel misérable usage de la langue, de l'intelligence, quelle ignorance de la Nature. Comment peut on survivre à un tel ennui? Bref ils ont souvent fait eux même leur propre malheur, en restant là, à ignorer leur être véritable, leur puissance, leur vérité. Que n'ont ils été illuminés par la musique que nous jouaient les anges! Peut - être avons nous eu, nous, la chance d'avoir acquis cette conscience de tout ce qui relie l'humanité et la nature depuis la nuit des temps, et que symbolise, pour nous, notre déesse éternelle, et que continuera à évoquer cet humble poisson dans le dos d'une reine. Remercions notre chance d'aspirer à pleins poumons cet air de la contrée que nous avons choisie, où s'épanouit l'art de Maillol et celui de sa muse. Regardez, admirez comment vibre l'or de ces bouteilles de Banyuls. Et maintenant ami(e)s réjouissons nous; Festoyons, buvons, chantons, baisons et aimons. Et ne vous attristez pas amis, levons ce verre d'or au moment où je dis mon dernier « Merci à la vie », c'est mon dernier clin d'oeil, mon dernier sourire pour vous dire Adieu, et, avec la plus parfaite conviction: « Il y a des moments dans la vie où il faut savoir s'éclipser avec dignité ». NB . Tous les élements de ce recit fiction concernant Maillol et Dina sont réels; A une exception près, Si Dina a servi de modèle à Maillol pour des « Venus » et pour sa dernière oeuvre « Harmonie », elle ne fut pas le modèle de la « Venus » de la photo, sculpture exécutée avant leur rencontre. Mais comme le dit l'auteure du défi « L'occasion était trop belle ». Dina Vierney est morte le 20 Janvier 2009.
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